
Décidément, la politique ivoirienne inspire bien des vocations, y compris à des milliers de kilomètres. Dernière démonstration en date : Paul Collier et Francis Fukuyama, respectivement économiste britannique et politologue américain, ont sorti leur plus belle plume pour nous expliquer, depuis Londres, que l’exclusion de Tidjane Thiam des élections pourrait entraîner… une guerre civile en Côte d’Ivoire. Rien que ça.
On savait que les intellectuels ont parfois la tête dans les nuages, mais là, ils semblent avoir pris l’avion pour un autre monde. Parce qu’au fond, que savent-ils de la réalité ivoirienne, à part les briefings bien ficelés par quelques communicants en mal de reconnaissance ? Que savent-ils des subtilités juridiques, politiques, ethniques et historiques du terrain ivoirien ? Apparemment pas grand-chose. Mais visiblement, l'amitié pour "un pote à Tidjane" suffit à signer une tribune dans un journal international pour nous expliquer comment éviter l’apocalypse.
Il faut le dire sans détour : cette sortie ressemble moins à une analyse qu’à un envoûtement à l’européenne.
Une sorte de sorcellerie diplomatique de salon.
On lance un sort médiatique depuis Londres, on invoque le chaos à venir, et on espère que la peur s’installe dans les chancelleries.
Le comble ? C’est que cette tribune ne s’appuie sur aucun élément solide : ni faits, ni données, ni contexte local sérieux. Juste un scénario catastrophe sur mesure, cousu avec des fils d’angoisse postcoloniale et de messianisme politique. À croire que pour ces deux éminences grises, Tidjane Thiam est devenu le dernier recours de l’humanité démocratique en Afrique de l’Ouest. Un Moïse de la finance internationale qu’il ne faudrait surtout pas contrarier, sous peine de cataclysme.
Mais la Côte d’Ivoire n’est pas une série Netflix.
Et son peuple, souvent bien plus mature que ses élites, ne se laisse pas entraîner dans des guerres sur commande. Ce genre de tribune, bien que signée de noms prestigieux, sonne comme une tentative mal déguisée de manipulation émotionnelle internationale. Un coup de projecteur inutilement alarmiste qui méprise la complexité d’une nation, pour glorifier un homme.
Alors, non, chers Collier et Fukuyama : la Côte d’Ivoire ne s’embrasera pas parce que votre ami n’a pas rempli certaines conditions électorales. La démocratie ivoirienne n’est pas une bourse d’investissement à haut risque où un seul actionnaire fait tout basculer. Et le peuple ivoirien mérite mieux que ces prophéties d’importation, toujours prêtes à dramatiser l’Afrique quand elle refuse de suivre un script étranger.
À moins que votre prochaine tribune ne parle aussi de marabouts, de sortilèges électoraux et d'oracles en costume-cravate. Parce qu’à ce rythme, autant inviter Harry Potter à la CEDEAO.
Jacob Koné Katina
Chroniqueur
Consultant en communication