
Après la première décision rendue par le tribunal, doit-on s'attendre à ce que M. Tidjane Thiam perde dans la procédure engagée par Dame Valérie Yapo ?
La justice, ce n'est pas les mathématiques. Ce qu'il faut savoir, c'est que dans la première procédure, il s'agissait du contentieux relatif à l'inscription sur la liste électorale. Selon la décision rendue par la présidente du tribunal, M. Tidjane Thiam jouissait de la nationalité française au moment de son inscription sur la liste électorale. On pourrait penser que logiquement, au regard du dossier de l'assignation engagé par Dame Valérie Yapo, qu’il est quasi identique à ceux présentés par les requérants lors du contentieux de la liste électorale. Mais là s'arrête la similitude, car les objets des deux procédures sont totalement différents
Elle attaque le PDCI-RDA, parce que c'est ce parti qui a élu M. Thiam comme président
Si les pièces présentées au premier procès sont identiques à celles présentées par Dame Valérie Yapo, logiquement, M. Thiam devrait être condamné !
Dans la première procédure, on se trouvait dans le cadre du contentieux de l'inscription sur la liste électorale. Les requérants ont saisi le tribunal pour réclamer la radiation de M. Thiam de la liste électorale. C'était une action engagée contre la décision de la CEl et contre l'inscription de M. Thiam sur la liste électorale. Dans le 2e dossier, Mme Valérie Yapo agit demandant l'annulation des décisions de sanction à son encontre, rendues par le conseil de discipline du PDCI-RDA. En réalité, c'est le PDCI-RDA qui a été assigné en justice ainsi que la présidente du conseil de discipline de ce parti qui a prononcé la décision de sanction. La logique de l'action de Mme Yapo est simple : elle attaque le PDCI-RDA, parce que c'est ce parti qui a élu M. Thiam comme président. En conséquence, le responsable de la violation des textes du PDCI incombe à ce parti et non à M. Thiam. C'est le PDCI-RDA, par ses organes intérimaires, ayant été mis en place, qui a organisé les élections aboutissant à l'élection d'une personne qui ne remplissait pas les conditions prévues, aussi bien par ses statuts, que par la loi du 9 août 1993 sur les partis et groupements politiques. Dès lors qu'à son élection, M. Thiam était de nationalité française et non de nationalité ivoirienne, Mme Valérie Yapo a engagé une assignation contre le PDCI-RDA pour faire annuler des sanctions à son encontre, prises par un conseil de discipline dont les membres ont été nommés par une autorité illégale. Quand une autorité est illégale, tous les actes adoptés par celle-ci sont illégaux. En résumé, les membres du conseil de discipline et le président du PDCI-RDA, lui-même, sont illégaux. Il va sans dire que leurs décisions sont illégales. Si le tribunal constate donc l'illégalité de la nomination de M. Thiam, il est évident que tous les actes pris par celui-ci seront des actes illégaux. Il ne s'agit donc pas d'une action directe engagée contre Tidjane Thiam pour contester sa nationalité. Il s'agit d'une action dirigée contre le PDCI-RDA.
Thiam a signé le 25 mars 2025, une décision visant à lever les sanctions prononcées par le conseil de discipline du PDCI, le 3 octobre 2024. Est-ce que cette mesure ne rend pas sans intérêt, l'action engagée par Mme Valérie Yapo, dans la mesure où les sanctions ont été levées ?
En apparence, on pourrait le penser, mais en réalité, cette attitude aurait été pertinente si l'élection de M. Thiam avait été faite conformément aux textes en vigueur, c'est-à-dire selon les dispositions des statuts du PDCI et de la loi du 9 août 1993. Étant lui-même une autorité illégale, parce qu'élu irrégulièrement, il ne peut prendre une mesure qui soit légale. On peut également s'interroger sur l'hypothèse d'une situation légale, si le président d'un parti politique pouvait se substituer à un organe disciplinaire et prendre des mesures en ces lieux et places. Pour ma part, j'estime que la mesure de levée de sanctions adoptées par M. Thiam, en qualité de président du PDCI, est illégale. En effet, l'élection de M. Thiam à la tête du PDCI est frappée d'un péché originel qui corrompt tous les actes qu'il prend.
« Il faut retenir que force doit rester à la Loi. »
À votre avis, quelle pourrait être l'attitude de la présidente du tribunal dans ce dossier, puisqu'elle a elle-même reconnu que M. Thiam était français depuis le 24 février 1987 ?
Je ne peux pas préjuger de ce que diront les juges, mais je pense que la nationalité de M. Thiam ne faisant plus débat, il serait logique que son élection à la tête du PDCI soit entachée de nullité. L'illégalité des sanctions en son encontre invoquée par Mme Valérie Yapo procède donc de ce péché originel.
Les avocats de M. Thiam brandissent une copie intégrale d'un registre d'état civil de la mairie du Plateau pour prouver que non seulement qu’il était français, mais également que son père était français !
Il faut distinguer deux choses qui ne peuvent être assimilées. Les registres d'état civil constatent des faits d'état civil, c'est-à-dire les naissances, les mariages, les divorces et les décès. Ils n'ont pas vocation à déterminer ou à octroyer la nationalité à des individus. Les conventions internationales font obligation à tous les États d'enregistrer les naissances de toute personne sans distinction d'origine. Si les registres d'état civil octroyaient la nationalité à des personnes, tous les enfants nés en côte d'ivoire de parents étrangers, seraient donc des Ivoiriens. Par contre, la nationalité est le lien d'allégeance d'un individu par rapport à un État. Les États différencient leurs ressortissants de ceux des autres États en leur donnant une étiquette internationale qu'on appelle « la nationalité ». Si M. Thiam apporte un document officiel français autre que le registre d'état civil, on pourra dire que sa sœur est française ou que son père était français. Lui-même avait la nationalité française, non pas à cause de sa présence dans le registre d'état civil européen, mais en raison de son décret de naturalisation en date du 24 février 1987. Les avocats de M. Thiam gagneraient vivement à clore ce chapitre sur la prétendue nationalité française du père de leur client qui ne correspond à aucune réalité juridique.
La décision rendue par la juge, au regard du code électoral, est insusceptible de recours
Le PDCI organise des marches pour exiger la réinscription de M. Thiam sur la liste électorale. Qu'en pensez-vous ?
La décision rendue par la juge, au regard du code électoral, est insusceptible de recours. Il s'agit d'une décision de justice rendue par une juridiction civile qui est insusceptible de recours. Je ne pense pas que ce soit les marches, les menaces ou les actions violentes qui pourraient entraîner la réinscription de M. Thiam sur la liste électorale. Dès lors que ce dernier a été radié de la liste électorale, seule une révision de la liste électorale aurait dû permettre de l'y réinscrire.
C’est un aveu de culpabilité de la part du PDCI-RDA et de son président par effraction
Thiam a démissionné de la présidence du PDCI-RDA, tout en conservant un poste de président délégué. Comment interprétez-vous une telle manœuvre ?
C’est un aveu de culpabilité de la part du PDCI-RDA et de son président par effraction. En réalité, ils veulent corriger une illégalité en se conformant à la loi. Et ce n’est que justice, car la loi doit être le socle sur lequel tout doit se bâtir dans un État démocratique. Comme je l’avais indiqué, le processus de désignation de M. Thiam était entaché d’un « péché originel », car les dispositions du statut du PDCI-RDA, de même que la loi du 9 août 1993 sur les partis politique, avaient été violées. Cette désignation était illégale. En remettant sa démission, il ne s’agit pas pour M. Thiam de faire front contre un acharnement judiciaire, comme il le prétend, mais plutôt de se conformer à la légalité, notamment à la loi sur les partis politiques, ainsi qu’aux statuts et au règlement intérieur du PDCI-RDA. Pour le reste, cela relève d’une cuisine interne au PDCI-RDA.
cette démission n’a aucune conséquence sur les sanctions illégales qui ont été prononcées à l’encontre de la plaignante
Quelles sont les conséquences de cette démission sur la procédure en cours consécutive à la plainte de Madame Valérie YAPO ?
Logiquement, cette démission n’a aucune conséquence sur les sanctions illégales qui ont été prononcées à l’encontre de la plaignante. Ces sanctions demeurent. Elles demeureront jusqu’au prononcé de la décision du juge, sauf si la nouvelle direction du PDCI-RDA en vient à les annuler dans les règles de l’art, et ce, en se conformant à la légalité interne du parti. Il est important d’indiquer que le PDCI-RDA se retrouve au niveau où il était au moment du décès du président Henri Konan Bédié. Toutes les nominations faites par M. Thiam en qualité de président du PDCI-RDA sont corrompues, car affectées par le péché originel qui entache sa désignation comme président de ce parti. Il faut retenir que force doit rester à la Loi.
Entretien réalisé par Yacouba Doumbia