
La Cellule de Réflexion et d’Écriture Militante réunit en son sein d’éminents intellectuels ivoiriens et africains engagés dans l’analyse des grands enjeux contemporains et dans les débats publics visant à promouvoir la justice, la souveraineté et le progrès des sociétés africaines. Dr Moustapha Ben Ismaîla Diaby en est le Coordonnateur Général.
« Au bout du petit matin… je reviendrai vers mon pays »
« Au bout du petit matin… je reviendrai vers mon pays… ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair », écrivait Aimé Césaire dans son fameux ‘’Cahier d’un retour au pays natal’’. Il y exprimait un retour inévitable qui fait écho à la quête frénétique des diasporas africaines vers leurs origines. Sur le plan politique, cet élan intime rejoint aujourd’hui la volonté de nombreux dirigeants africains animés par l’ambition nationale de reconstruire une aube nouvelle avec la diaspora. C’est en raison de cette ambition nationale que le Président Alassane Ouattara s’est adressé à ses compatriotes vivant à l’étranger en déclarant : « Vous demeurez notre priorité. Les Ivoiriens de la diaspora sont la force et la richesse de la Côte d’Ivoire ».
De l’Europe à l’Amérique, en passant par l’Asie et l’Océanie, ces paroles, prononcées lors du premier Forum de la diaspora ivoirienne en 2015, continuent de résonner comme des échos lointains dans l’esprit de nombreux Ivoiriens installés aux quatre coins du globe.
Lors de la 4ᵉ édition du forum (2024), l’État ivoirien réaffirmait sa volonté de collaborer avec la diaspora : « Chers compatriotes de la diaspora, aujourd’hui, plus que jamais, la Côte d’Ivoire a besoin de vous. Vos compétences et vos expériences sont essentielles pour relever les défis qui se dressent devant nous ». En novembre 2025, le gouvernement a même lancé une campagne incitant la diaspora étudiante à revenir afin de réinventer son avenir dans le processus de modernisation du pays. Ces appels ne sont pas isolés : partout en Afrique, les gouvernements ont compris que leur diaspora constitue un levier stratégique pour l’avenir du continent. Médecins à Toronto, ingénieurs à New York, chercheurs à Montréal ou entrepreneurs à Paris, les Africains établis à l’étranger représentent un réservoir inestimable de compétences et de capitaux, capable de soutenir le développement. Dans un monde où chaque nation rivalise pour attirer les talents, l’Afrique doit s’engager résolument dans cette dynamique pour reconquérir les siens et mobiliser ces forces pour transformer durablement son destin.
Un capital humain unique et impactant
Les Africains vivant à l’étranger occupent souvent des positions de premier plan : professeurs en sciences, ingénieurs de pointe, spécialistes de la finance, experts en intelligence artificielle, diplomates, artistes ou entrepreneurs. Ce sont des femmes et des hommes qui ont travaillé avec acharnement, détermination et passion pour accumuler ailleurs des expériences de haut niveau, pour surmonter des défis professionnels exigeants et développer une expertise solide et parfois unique, qu’il serait opportun de réinvestir intelligemment au niveau local.
Par ailleurs, cette diaspora constitue une passerelle stratégique entre l’Afrique et le reste du monde. Non seulement maîtrise-t-elle les codes internationaux, mais elle dispose également de réseaux capables d’ouvrir certaines portes d’influence que des États africains peinent parfois à franchir : accès à certains investisseurs de premier plan, à certains réseaux d’universités, aux nouvelles technologies de pointe, ou encore à certains marchés étrangers dont le caractère opaque est renforcé par l’existence de réseaux d’intérêts aux ramifications complexes. Dans un continent jeune, ambitieux, en pleine mutation socio-politique, technologique et économique de développement, la valorisation de cette ressource humaine doit constituer un axe central de la stratégie nationale de développement, si l’on veut se démarquer de manière décisive et s’imposer durablement face à la concurrence féroce résultant d’une mondialisation implacable.
La Diaspora : un potentiel de financement et transformation
Les transferts financiers envoyés par les diasporas africaines représentent chaque année des milliards de dollars. À l’échelle mondiale, on rapporte que les envois de fonds des migrants vers les pays en développement « restent un flux crucial de capitaux externes privés » : en 2023, elles ont été estimées à ≈ 656 milliards de dollars selon la World Bank. Pour 2024, il avait été prévu que « les envois de fonds vers ces pays pourraient atteindre ≈ 685 milliards de dollars » Et, la Banque mondiale a relevé que « ces remises migratoires dépassent désormais, dans de nombreux cas, le cumul des investissements directs étrangers (IDE) et de l’aide publique au développement (APD) pour les pays bénéficiaires — ce qui confirme le poids structurel des transferts de la diaspora ». Ces réalités chiffrées illustrent parfaitement l’importance de la diaspora dans la stabilité économique des familles, mais aussi dans l’investissement immobilier, l’éducation, la santé ou l’entrepreneuriat. On s’accorde généralement pour reconnaître qu’à eux seuls, les membres de la diaspora injectent chaque année davantage de ressources que nombre de programmes internationaux réunis. Evidemment, on ne saurait réduire la diaspora à son seul rôle financier, car leur vrai pouvoir réside dans leur expertise.
Dans les universités africaines, beaucoup de filières peinent à se renouveler, faute de moyens conséquents, ou à cause de la faible modernisation des programmes ou encore de la pénurie d’enseignants spécialisés dans certains secteurs pointus. Or, les diplômés africains formés à l’étranger bénéficient de moyens exceptionnels et d’une formation d’excellence inégalée, difficilement accessibles dans la majorité des universités africaines. Leur retour pourrait contribuer à moderniser les programmes, à introduire de nouvelles méthodes pédagogiques, à créer des ponts de recherche, inspirer des vocations dans des disciplines de recherche avancées, stimulant ainsi innovation et excellence. Dans la recherche scientifique, leur contribution serait décisive dans la participation à la création de laboratoires de pointe, à l’introduction de nouvelles technologies, la mobilisation de financements étrangers, la publication conjointe dans des revues internationales. Dans le domaine de la technologie, l’Afrique cherche à émerger, alors que les profils spécialisés sont encore en manque ou rares dans certains domaines d’activité qui sont au cœur des révolutions numériques mondiales : intelligence artificielle, cybersécurité, robotique, biotechnologies, télédétections, Astronautique, Intelligence spatiale, data science, énergies vertes. Le retour de la diaspora pourrait catalyser de véritables écosystèmes d’innovation, comparables à ceux qui ont fait le succès de pays comme l’Inde ou la Chine. Mais pour favoriser le retour en question, il faut évidemment créer les conditions de la réintégration au pays natal.
Créer les conditions d’un retour : défi politique et opportunité historique
Le retour de la diaspora ne peut pas reposer uniquement sur l’amour de la patrie : il doit être préparé, encouragé, sécurisé, intéressé. Plus concrètement, cela implique des infrastructures fiables (énergie stable, internet haut débit, transports efficaces, système de santé solide), un environnement professionnel attractif (reconnaissance des diplômes, salaires compétitifs, opportunités de carrière, valorisation de compétences), un climat des affaires moderne (transparence, réduction de la bureaucratie, facilités administratives, disponibilité de prêts bancaires, allégement des conditions de ces prêts, fiscalité adaptée), des programmes d’accueil (guichet unique, aides au logement et à l’insertion professionnelle…). En d’autres termes, le retour ne doit pas se résumer à un slogan politique dépourvu de substance, ni à une démarche isolée vouée à l’impasse, et encore moins à un retour cauchemardesque vers une réalité sociale marquée par des dysfonctionnements persistants sur les plans administratif, juridique et institutionnel. Sa réussite repose sur une approche à la fois proactive et globale que le gouvernement doit adopter, afin que le retour soit valorisant et s’inscrive dans un processus d’intégration durable et structuré. L’objectif n’est pas de forcer le retour, mais de créer les conditions structurelles et matérielles qui le rendent souhaitable, enviable, et surtout modélisable.
L’Afrique se trouve à un moment décisif : population en forte expansion, croissance économique relativement soutenue, urbanisation rapide, transformation digitale accélérée, sans oublier les défis climatiques et les enjeux de la souveraineté alimentaire face à l’explosion démographique. Mais, pour transformer ses atouts en véritables leviers de prospérité, et pour faire face à ses problématiques de développement, notre continent a besoin d’une ressource capitale : des compétences humaines qualifiées. La diaspora représente ce trésor inestimable. Son retour pourrait grandement contribuer à changer le destin du continent dans des secteurs entiers : éducation, santé, technologies, agriculture, culture, diplomatie, industrie, gouvernance, et plus encore. Elle peut devenir « la colonne vertébrale » d’une Afrique nouvelle, moderne, souveraine et compétitive.
Dans ces conditions, encourager et promouvoir le retour volontaire de la diaspora africaine ne relève pas d’un simple geste sentimental. C’est un choix stratégique, qui est fondé sur une analyse claire des besoins du continent et du potentiel immense de ses enfants établis à l’étranger. L’Afrique a besoin de ses talents. Et, ses talents, maintenant plus que jamais, peuvent trouver en Afrique un terrain fertile pour bâtir, innover et transformer. Il ne faut pas appréhender le retour de la diaspora seulement comme une trajectoire qui réoriente simplement la destinée d’une communauté de femmes et d’hommes vers la mère-patrie. Il faut plutôt l’envisager comme le retour du précieux dépôt des expériences accumulées, des savoirs acquis et des opportunités saisies, pour l’estime d’une vision renouvelée de l’avenir.
À la suite d’Aimé Césaire, on pourrait légitimement avancer ces vers : au bout du petit matin, face aux exigences du développement, certains de nos frères et sœurs de la diaspora arpenteront les chemins du retour vers le pays natal. « Les pieds poudrés par la poussière de l’exil ». « Le cœur chargé des milles senteurs de l’ailleurs », ils feront « du retour » l’évènement d’une prise de conscience en faveur de l’émergence d’une nouvelle Afrique. L’âme suspendue entre le désir d’avenir et la nostalgie des empreintes noires laissées dans la neige derrière eux. C’est au mitan de cette tension liminale que la diaspora cultive avec plaisir les conditions ontologiques de sa réinvention dans les girons du pays natal, où elle se trouvera toujours confrontée à l’expérience de l’altérité.
Auteurs :
Dr Kanaté Dahouda Soumahoro est Professeur Titulaire d’Université aux États-Unis. Directeur Scientifique de l’Ouvrage Collectif « Alassane Ouattara, l’artisan du renouveau Ivoirien ». Membre du Comité Scientifique de la Cellule de Réflexion et d'Écriture Militante.
Dr Youssouf Diarrassouba est Enseignant-Chercheur à l’Université Peleforo GON COULIBALY, Côte d’Ivoire. Co-auteur de l’ouvrage collectif « Alassane Ouattara, l’artisan du renouveau Ivoirien », auteur de l’essai littéraire intitulé Le paradis de l’insolence et membre du Comité Scientifique de la Cellule de Réflexion et d’Écriture Militante.



