
Au contraire, il a choisi une voie plus stratégique : mettre son parti à disposition pour soutenir un autre acteur de l’opposition, de préférence ancré à gauche. Cette décision marque une rupture avec une logique de personnalisation du pouvoir et du leadership politique ivoirien. Blé Goudé refuse de réduire son parti à sa propre ambition présidentielle, et transforme une contrainte juridique – son inéligibilité actuelle – en opportunité politique. Il capitalise sur son influence pour peser autrement : par l’orientation, l’alliance, et la capacité de mobilisation.
Il faut lire cette démarche en trois dimensions :
1. La maturité politique
L’ancien « général de la rue », souvent perçu comme un tribun de l’affrontement, démontre ici une posture de maturité. Il accepte le jeu institutionnel tel qu’il est, tout en choisissant d’agir à l’intérieur de ce cadre, plutôt que de le contester de manière stérile. En politique ivoirienne, où les égos prennent souvent le pas sur les stratégies collectives, c’est un signal fort.
2. La stratégie d’influence
En plaçant le COJEP comme force d’appoint et non comme adversaire concurrentiel, Blé Goudé envoie un message clair aux autres formations d’opposition : il est disposé à jouer collectif, à être un faiseur de roi plutôt qu’un prétendant marginal. Cette posture accroît sa capacité de négociation et lui assure une place à la table des grandes manœuvres, même sans bulletin à son nom.
3. L’ancrage idéologique
Le choix affiché de soutenir prioritairement un acteur de la gauche ivoirienne montre une volonté de cohérence. Blé Goudé s’inscrit ainsi dans un camp, assume une orientation, et évite l’ambiguïté des alliances opportunistes qui brouillent souvent les lignes politiques en Côte d’Ivoire.
Bien sûr, cette posture n’est pas sans risque : elle peut être perçue comme une mise entre parenthèses prolongée de son leadership, et certains militants du COJEP pourraient se sentir frustrés de ne pas avoir de candidat « maison ». Mais à moyen terme, elle peut lui permettre de rester central dans l’opposition, de bâtir des alliances solides et de préparer un retour plus structuré lorsque sa situation électorale sera régularisée.
En somme, Charles Blé Goudé a choisi l’influence plutôt que l’isolement, la stratégie plutôt que la précipitation. Dans un paysage politique ivoirien souvent marqué par la rivalité des ambitions, cette démarche relève moins de la résignation que du calcul à froid : peser sans se présenter, et préparer l’avenir en participant à écrire celui de l’opposition.
Hermann Aboa