Édito

La ligue des irrecevables et la logique du chaos

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Tic-tac ! Dans exactement 39 jours, les Ivoiriens seront appelés aux urnes pour choisir celui qui va présider à leur destinée pour le prochain quinquennat. Pour ce scrutin, ils sont 60 citoyens qui ont déposé leurs dossiers de candidatures à la Commission électorale indépendante (CEI). Mais au finish, il n’y a que cinq heureux élus qui iront à l’assaut des voix des électeurs, au petit matin du samedi 25 octobre. Après le tamisage du Conseil constitutionnel, 55 candidats, dont de nombreux farceurs ont été éjectés de la course.

Parmi ceux-ci, des partis significatifs de la scène politique qui continuent de crier sur tous les toits que cette élection ne se fera pas sans eux, sont passés à la trappe. Les dossiers du PDCI-RDA de Tidjane Thiam, du PPA-CI de l’ancien président Laurent Gbagbo, du FPI de Pascal Affi N’Guessan, de l’ADCI du députémaire Assalé Tiémoko et de l’ancien préfet Vincent Toh Bi Irié ont été déclarés irrecevables. Comme s’ils avaient un projet commun après cette déconvenue, ces ‘‘irrecevables’’ ont décidé de se rassembler autour de l’ancien président Laurent Gbagbo pour un objectif dont les contours restent encore flous. Mais il ne faut pas se méprendre. Derrière cette union de circonstance, pourrait se cacher un projet funeste, dans la mesure où les deux cadors de cette ligue des irrecevables que sont le PPA-CI et le PDCI-RDA, continuent de soutenir mordicus qu’il n’y aura pas d’élection sans eux et que Ouattara ne sera plus le prochain président de la République de Côte d’Ivoire.

Quand l’on se remémore le funeste projet du CNT, peu avant la présidentielle de 2020, avec quasiment ces mêmes acteurs et dans les mêmes circonstances et avec le même narratif, l’on peut présager que quelque chose de pas catholique pourrait se cacher derrière cette union des recalés. Cela est d’autant vrai, dans la mesure où celui qui fait office de tête de file de ce conglomérat, avait déclaré qu’il ne lui appartient pas de rassembler l’opposition. C’était le 22 août 2023. Au cours d’une conférence de presse animée au siège de son parti, Laurent Gbagbo avait été on ne peut plus clair sur sa posture vis-à-vis des autres formations de l’opposition. « Mon rôle n’est pas de réorganiser l’opposition ivoirienne. Je crois qu’il y a toujours une erreur quand les gens parlent. Il y en a qui disent oui Gbagbo, il n’a qu’à organiser la gauche. Mon rôle n’est pas d’organiser la gauche. Et mon rôle n’est pas d’organiser l’opposition ivoirienne. Mon rôle est de conduire mon parti au pouvoir. C’est ça qui est mon rôle.

Je crois qu’il ne faut pas vous tromper. Chacun des responsables de partis, leur rôle est de conduire leurs partis au pouvoir. C’est tout », avait clarifié Laurent Gbagbo. D’où vient-il qu’aujourd’hui que le même Laurent Gbagbo bat le rappel des troupes de cette même opposition ? Même Affi N’Guessan qu’il snobait et qu’il évitait jusque-là et à qui il a laissé une enveloppe vide, a été reçu avec une chaleureuse camaraderie.

Cette union de circonstance apparaît à la vérité comme une initiative de consolation réciproque de despérados qui ont été laissés à quai par le train des élections

Il est vrai que Cicéron a dit que « c’est dans l’adversité que se révèlent les vrais amis », mais ce rassemblement à un peu plus d’un mois d’une élection pour laquelle leurs candidatures sont toutes irrecevables, n’est pas un fait anodin. L’on a encore en mémoire que le chef de file de cette union de circonstance avait lancé un appel insurrectionnel qui est certes, passé inaperçu, mais qui demeure le plan A des anti Ouattara, à défaut de pouvoir le vaincre dans les urnes. Le 14 juillet 2024, Laurent Gbagbo avait appelé toute la classe politique à se joindre à lui pour chasser le régime RHDP du pouvoir. « Il faut que ce gouvernement ne soit plus là en 2025. D’ici, je lance un appel au rassemblement, un appel à toutes les forces politiques, à tous ceux qui, comme nous, pensent que ce gouvernement ne doit plus être là ».

À l’analyse, ce qui pourrait paraître comme un retour à l’appel de Bonoua n’est rien d’autre que la persistance de la logique du chaos, prônée par l’opposition ivoirienne. Et cette hypothèse est plus que jamais plausible, au regard du contexte et du narratif que développent les irrecevables depuis l’implacable sentence du Conseil constitutionnel. Il est vrai que de rien, rien ne peut sortir, mais cette ligue naissante des irrecevables doit être scrutée avec beaucoup de minutie. Ils savent que collectivement ou individuellement, ils ne pourront rien créer, comme on dit de façon triviale en Côte d’Ivoire. Partant de là, le vrai projet serait certainement de créer des escarmouches par endroits ou de faire peser une sorte de chape de plomb sur le pays en vue, soit d’obtenir un hypothétique report du scrutin ou l’ouverture d’un improbable dialogue politique. À 39 jours des élections, ces deux hypothèses sont quasiment improbables et relèvent de la pure chimère. Cette union de circonstance autour de Laurent Gbagbo apparaît à la vérité comme une initiative de consolation réciproque de despérados qui ont été laissés à quai par le train des élections. Du fait des mauvais choix stratégiques, ils seront contraints de suivre le jour du vote et la proclamation des résultats depuis les gradins de leurs partis politiques. Simplement dommage pour leurs militants qui espéraient mieux !