
Jean-Noël Abehi, l’ancien commandant du Groupement d’escadron blindé du camp de gendarmerie d’Agban, était l’un des derniers remparts de l’ex-président Laurent Gbagbo lors de la crise postélectorale de 2010- 2011. Après cette grosse déflagration, il s’était exilé au Ghana voisin pour échapper aux conséquences de sa déloyauté envers la République. Mais, manque de pot, il a été finalement extradé en 2013 et mis sous mandat de dépôt au terme de son procès. En effet, l’homme a été arrêté en février 2013. Les autorités ivoiriennes l’ont accusé de « complot contre l’autorité de l’État, constitution de bandes armées, vol et tentative de vol d’armes et de munitions, atteinte à la sûreté de l’État, tentative de déstabilisation d’un régime constitutionnel ».
« Je n’ai jamais voulu faire un coup d’État contre les autorités actuelles. Je n’ai jamais voulu me dédire de mon serment de gendarme. C’est le colonel Katé Gnontoa qui a réuni des militaires pendant notre exil pour déstabiliser le régime d’Abidjan », avait clamé le commandant Abehi à la barre en janvier 2018. À la fin du procès, Jean-Noël Abehi a été reconnu coupable. Il a écopé d’une peine de dix ans de prison. Il a été libéré le 05 octobre 2022, soit après 09 ans de détention.
C’est un homme visiblement amer et frustré
Cependant, il dit n’avoir pas reçu la visite de celui dont il a défendu le régime au prix de sa vie. Trois (3) ans plus tard, c’est un homme visiblement amer et frustré qui s’est épanché via une vidéo qui a rapidement fait le tour des réseaux sociaux. Voici un florilège de ses récriminations qui ont sans doute résonné d’un écho particulier aux oreilles de celui pour qui il était prêt à tous les courages et a dû se rendre coupable ou complice de moultes exactions ou atrocités comme le rapporte une certaine doxa. « J’ai été choqué par la réaction du président Gbagbo. Depuis ma sortie de prison, je n’ai reçu aucune visite du PPACI. Pas un appel, pas un mot, rien. Mais je n’en veux à personne. Seulement, qu’on ne vienne pas m’emmerder », prévient-il.
L’excommandant, figure emblématique de la faction de l’armée restée fidèle à l’ancien chef de l’Etat, ne cache pas sa déception. Il dit avoir tourné la page, mais tient à dire sa vérité. « Une seule personne avait promis de me rencontrer. Elle ne l’a pas fait. Même pas le ministre Lida Kouassi, que j’ai pourtant servi avec loyauté et dextérité », confie l’officier supérieur. Avant de revenir sur une anecdote savoureuse. « Un jour, son chargé de mission (celui du ministre Lida Kouassi, ndlr) a appelé par erreur sur le numéro de ma femme, pensant joindre Mme Vagba. Ma femme a répondu : « Non, ici c’est Mme Abehi ». Il s’est aussitôt confondu en excuses et a dit : « Le patron avait demandé d’appeler Mme Vagba, et une fois qu’on aura fini avec elle, on viendra peut-être voir Monsieur Abehi. On l’appellera demain ». Mais ‘’demain’’ n’est jamais venu. Et Abehi semble avoir compris le message. « Je dis merci à ceux qui m’ont soutenu, de près ou de loin. Mais ceux du PPA-CI, ils n’ont qu’à rester dans leur coin. Et moi, je vais rester dans le mien. C’est mieux ainsi », insiste Jean-Noël Abehi.
La charge était trop lourde…
La charge était trop lourde pour qu’elle reste sans réponse. Aussi, les heures qui ont suivi, le PPA-CI, dans un communiqué signé par le secrétaire général adjoint chargé des détenus politiques, Patrice Kouté, a-t-il exprimé sa « profonde surprise » face à ces déclarations jugées inexactes. Le parti affirme être entré en contact avec les proches de l’ex-officier dès l’annonce de sa libération, dans l’objectif d’organiser une visite de solidarité. « Il nous a été indiqué alors que le commandant, affaibli, n’était pas en mesure de recevoir et reprendrait contact ultérieurement. À ce jour, cela n’a pas été fait », précise le communiqué. Le PPA-CI affirme avoir renouvelé ses tentatives, sans réponse positive, tout en respectant la discrétion que réclamaient la situation et le statut militaire de Jean Noël Abéhi.
A ce stade, on peut tout de même marquer sa surprise après la réaction du secrétaire général adjoint du PPACI chargé des détenus politiques (sic). Comment se fait-il que les proches de Jean-Noël Abehi aient refusé de recevoir la délégation du PPA-CI au motif que l’ex-commandant ‘’affaibli, n’était pas en mesure de recevoir’’ ? C’est une attitude qui est contraire aux us et coutumes ivoiriennes. De fait, aucune famille ne peut refuser de recevoir des personnes venues manifester leur compassion ou solidarité à l’un de ses membres malades. A moins que ce dernier soit à l’article de la mort. Or, Jean-Noël Abehi n’était pas ‘’mourant’’, le PPA-CI le reconnait d’ailleurs, il n’était qu’’’affaibli’’.
Les visiteurs n’étaient quand même pas n’importe qui
Au surplus, depuis quand un état de fatigue, fût-il extrême, peut-il constituer un motif de refus de visite, surtout que les ‘’visiteurs’’ n’étaient quand même pas ‘’n’importe qui’’ ? Ils représentaient l’ancien président Laurent Gbagbo dont il portait la ‘’solidarité’’ manifestée à l’ancien officier supérieur qui s’était dévoué à la défense de son régime. Ce n’était donc pas une visite ordinaire pour qu’on la reportât avec autant de légèreté. De plus, Jean-Noël Abehi n’était pas dans une structure sanitaire avec des consignes strictes, de sorte à repousser toute visite jugée inopportune. Et dire que ça fait trois (3) ans qu’il est sorti de prison. Le PPA-CI peut-il dire aux Ivoiriens que depuis tout ce temps, il a tenté d’entrer en contact avec l’excommandant et que chaque fois ses proches lui ont dit que l’homme était trop ‘’affaibli’’ pour recevoir de la visite, fût-elle celle de Laurent Gbagbo ? Non, il ne faut pas prendre les gens pour des idiots.
Les explications de Patrice Kouté ne sont guère convaincantes. Au contraire, elles enfoncent davantage le PPA-CI qui semble avoir ‘’oublié’’ Jean-Noël Abehi comme il a également mis une croix sur Blé Goudé à qui Gbagbo n’a jamais ouvert sa porte, en dépit des demandes d’audience de son ancien codétenu. Infortune similaire pour feu JeanYves Dibopieu qui se plaignait aussi, avant sa disparition, de n’avoir reçu aucune visite de compassion du PPA-CI après sa sortie de prison A l’évidence, l’ancien commandant paie cash sa proximité avec l’ancienne Première dame, Simone Ehivet. Le constat vaut pour Blé Goudé. Ça semble être une constante au PPA-CI où Nady Bamba tient désormais les clés de la maison. Ainsi, tous ceux qui ont été ou qui sont proches de son ancienne rivale sont mis sur liste noire. Et ce n’est visiblement pas près de changer.
Ambroise Tiétié