
Tidjane Thiam continue de clamer sa filiation française bien qu’il y ait aucune preuve de cette filiation. Quel commentaire ?
Je suis particulièrement surpris de cette posture qu'adopte M Thiam qui lui a été probablement dictée par ses conseils. Pourtant le problème était simple. Dès lors que le nom de M Thiam figure sur un décret publié le 24 février 1987 dans le journal français numéro 51 de la 119ème année au titre de la naturalisation, c'est qu'il a été naturalisé Français. Cet élément de preuve versé au dossier n'a pu être contesté ni par lui, par ses conseils et la juge du tribunal d'Abidjan qui statue sur pièce ne pouvait que constater la perte de la nationalité ivoirienne en application de l'article 48 du code de la nationalité ivoirienne. Le problème de la nationalité française de son père qui serait Français d'origine n'a aucune conséquence dans le cadre de ce dossier, dès lors que la preuve de la naturalisation de M Thiam a été apportée.
Nous assistons à des incantations depuis la décision de sa radiation
Son insistance est pourtant surprenante…
Si le père de M Thiam, c'est à dire Amadou Thiam, était Français d'origine, ce dont je doute fort au regard des informations que je vous ai communiquées lors de ma précédente interview, les documents y relatifs auraient été produits. Concernant son père, j’avais rappelé lors de mon interview en date du 28 avril 2025, les conditions d’acquisition de la nationalité par les habitants des ex-colonies françaises au moment de l’indépendance de leurs pays. J’avais indiqué en résumé que les habitants de ces ex-colonies ne pouvaient conserver la nationalité qu’à deux conditions : avoir son domicile en France au moment de l’indépendance et souscrire à une déclaration de reconnaissance de la nationalité française. Et le document que vous m’avez fait parvenir concernant le père de M Jean Yves Essoh le prouve aisément. M Essoh était en France au moment de l’indépendance de la Côte d’Ivoire le 07 août 1960 et a souscrit à une déclaration de reconnaissance de la nationalité française. Il est donc Français d’origine et ses enfants nés en Côte d’Ivoire comme Jean Yves Essoh sont français par filiation. M Thiam doit faire comme Jean Yves Essoh, c’est-à-dire fournir un tel document. Malheureusement, nous assistons à des incantations depuis la décision de sa radiation, preuves que cette nationalité française de son père n’existe que dans son esprit. Cette préoccupation de M Thiam est en réalité un problème franco-français et non un problème du juge ivoirien.
C'est donc à Tidjane Thiam d'exercer des recours nécessaires devant les autorités françaises
Quand vous parlez de problème France-français, à quoi faites-vous allusion ?
Si les autorités françaises qui avaient connaissance de la nationalité française de M Amadou Thiam ont naturalisé son fils le 24 février 1987 au lieu d'étendre à celui-ci les effets de cette naturalisation, que Tidjane Thiam s'en prenne aux autorités françaises. Il ne faut pas en faire un problème ivoirien. Comme je l'avais encore indiqué précédemment lors de l'une de nos interviews, les actes administratifs français après le 07 août 1960 ne sont pas exécutoires dans notre pays. Ils permettent simplement d'avoir connaissance de certaines informations que ces actes contiennent. S'il est vrai que M Amadou Thiam était Français et que son fils, malgré cette naturalisation française d'origine de son père, a été naturalisé, le décret de naturalisation de Tidjane Thiam peut être considéré comme entaché d'illégalité. C'est donc à Tidjane Thiam d'exercer des recours nécessaires devant les autorités françaises pour rétablir son statut d'enfant français par filiation. Le décret de naturalisation de M Thiam ayant été publié depuis le 24 février 1987 et s'agissant d'un acte administratif créateur de droit, je doute fort que les délais de recours et la nature de l'acte puissent lui permettre d'obtenir le résultat escompté. Cependant, comme je vous l'ai indiqué, c'est un débat entre M Thiam et la France. En ce qui concerne le juge ivoirien, la décision qui a été prise l'a été au vu des informations régulières contenues dans le décret publié au journal officiel français du 24 février 1987. Si par extraordinaire, le recours de M Thiam aboutissait à la reconnaissance de sa nationalité française exclusive, il va falloir y renoncer en application de la Constitution.
Tidjane Thiam persiste pour dire que l’article 48 de la loi portant code de la nationalité ivoirienne est une mauvaise loi ; il affirme que son père est Français d’origine et que cela est un fait indiscutable !
Je voudrais rappeler à M Thiam que l'article 48 du code de la nationalité ivoirienne a son pendant qui est l'article 18 dans le code de la nationalité sénégalaise puisque M Thiam a tendance à citer le Sénégal en exemple. Jusqu'à une date récente, ce code est toujours en vigueur et n'a pas encore été modifié. Je voudrais également lui dire que la perte de la nationalité d’origine en raison de l’acquisition d’une nationalité etrangere n'est pas l'apanage des seuls pays africains.
Cette perte de la nationalité en cas d'acquisition d'une nationalité étrangère n'est pas aussi désuète
Pourquoi ?
Les dispositions de cette perte de la nationalité en France datent de 1973. Dans des pays comme l'Allemagne, il est toujours en vigueur sauf dans les relations entre l'Allemagne et les pays de l'Union européenne. Pour les pays comme l'Italie et l'Espagne, l'abandon de la perte de la nationalité acquise date d'il y a quelques années. Cependant, certains pays comme le Luxembourg, l'Autriche et les États nordiques maintiennent la perte de la nationalité d’origine en cas d'acquisition d'une nationalité étrangère. Comme vous le voyez, cette perte de la nationalité en cas d'acquisition d'une nationalité étrangère n'est pas aussi désuète que veut le faire croire Tidjane Thiam. N'oublions pas que c'est cette loi désuète du 14 décembre 1961 qui a permis à son géniteur d'être naturalisé ivoirien.
Tidjane prétend pourtant qu’il y a une volonté manifeste du pouvoir de l’écarter de la course à la Présidence de la République…
M Thiam souffre du syndrome du persécuté et de son manque d'humilité. Il veut faire croire au monde entier que la perte de sa nationalité ivoirienne par l'application de l'article 48 est une injustice mise en œuvre par le pouvoir en place pour instrument avec la justice. D'ailleurs, il persiste à dire que cette disposition n'a jamais été appliquée, balayant du revers de la main la jurisprudence TIOTE du Conseil constitutionnel du 17 novembre 2011. M TIOTE Souhaluo, d'origine ivoirienne comme lui et qui s'est vu appliquer l'article 48 le 17 novembre 2011, apparaît aux yeux de M Thiam comme un être insignifiant et inexistant. Dans sa victimisation outrancière, pour M Thiam, la seule vérité qui a droit de citer est la sienne. Ce qui est fort regrettable pour quelqu'un qui veut diriger un pays comme la Côte d’Ivoire. Malheureusement, il a, à ses côtés, des avocats qui poussent à l'excès la mauvaise foi jusqu'à créer des concepts dénués de tout fondement juridique.
Que pensez vous de la déclaration de l'ordre des avocats de Côte d’Ivoire sur la situation socio politique ?
Je suis surpris, mais pas étonné de la position des avocats. Ils se font passer pour des garants de la liberté pourfendant les magistrats. Mais ce qu'ils oublient de dire, c'est que les magistrats font partie du pouvoir judiciaire qui est indépendant. Les avocats ne sont pas indépendants. Ils défendent les causes de leurs clients. Autant il y a des avocats qui défendent Tidjane Thiam, autant il y a des avocats qui ont défendu les requérants qui ont porté plainte contre Tidjane Thiam. Ce genre de déclaration qui donne le sentiment que la Côte d’Ivoire vit des heures sombres est dangereuse d'autant plus qu'elle jette le discrédit sur l'institution judiciaire. Elle a un dessein inavoué : servir la cause de leur mandant. Il est vraiment regrettable qu'un barreau se proclame juge de la légalité alors que l’essence des avocats c’est de défendre leur client quelque soit leur bord politique. Le Barreau de l’ordre des avocats s’érige en donneur de leçons en s’inquiétant de conséquences sans chercher à prévenir les causes. Aucun mot sur les dérives langagières de certains acteur politique dont leur membre sont les défenseurs. Il parle de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice sans apporter la preuve d’une atteinte à ces principes. Faudra-t-il rappeler au barreau que la séparation des pouvoir affirmée par la constitution est protégée par le Conseil Constitutionnel et les institution judiciaires. Quant à l’indépendance de la justice, elle est garantie par le Président de la République qui est assisté en la matière par la Conseil Supérieur de la Magistrature. Ceux qui disent le droit, ce sont les juges et non les avocats. Le barreau tente de s’attribuer des pouvoirs qu’il n’a pas. Les décisions de justice peuvent plaire comme ne pas plaire selon la situation où on se trouve. Il existe pour ce faire des voies de recours. Si les voies de recours ne sont pas autorisées, on s'en tient à la loi.
Cette déclaration est inopportune et inutile
D’aucuns diront que les avocats font partie de l’écosystème du droit
Raison de plus pour dire que ce genre de déclaration constitue en réalité une atteinte intolérable à l’indépendance des juges car elle constitue une pression déguisée sur le pouvoir judiciaire. Le barreau n’est pas le censeur de la justice, il n’est qu’un des acteurs de la justice. Je constate également que dans cette déclaration, ils se contentent de ouï dire en faisant référence à des personnes arrêtées nuitamment. Une arrestation qu’elle soit diurne ou nocturne reste une arrestation. Il revient à l’avocat informé de cette arrestation de saisir les autorités compétentes. À ce que je sache, on a découvert aucun cadavre des personnes arrêtées dans la nuit. Dans tous les pays du monde, certaines forces de sécurité agissent en fonction du moment où elles jugent propice à l’interpellation. Dans un passé récent, des personnes étaient enlevées sans qu’on puisse savoir par qui et pourquoi. Soit, elles disparaissaient soit elles étaient retrouvées sans vie. Il aurait été bien que le barreau puisse en parler. En résumé, il s'agit d'une déclaration dénuée de tout intérêt cherchant à ménager la chèvre et le chou, mais qui laisse transparaître une absence de neutralité indéniable. J'estime pour ma part que cette déclaration est inopportune et inutile si ce n'est de donner le sentiment que la Côte d’Ivoire est en crise. Mais la Cote d’Ivoire n’est pas Haïti.
Entretien réalisé par
Yacouba Doumbia