Santé

Dr Olga Porquet-Mabanza (Médecin-psychiatre) : « L’hôpital psychiatrique de Bingerville reçoit un peu plus de 1 000 patients par mois »

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Médecin-psychiatre, directrice de l’hôpital psychiatrique de Bingerville, Dr Olga Porquet-Mabanza lève un coin du voile sur le mystère de l’hôpital psychiatrique de Bingerville. Avec pour ambition de déconstruire tous les préjugés entourant la santé mentale, la psychiatre de profession s’est ouverte à lavenir.ci dans le cadre des préparatifs de la célébration du soixantenaire, le 30 août 2025, de l’institution.

Vous êtes médecin-psychiatre de profession par ailleurs directrice de l’hôpital psychiatrique de Bingerville. Quel parcours doit-on faire pour devenir psychiatre ?

Le médecin devient psychiatre au terme de ses 07 ou 0 8 années de médecine générale. Le médecin décide de se spécialiser en psychiatrie comme un autre se spécialiserait en pédiatrie, en ophtalmologie, en gynécologie ou autres. Après donc les 07 ou 0 8 années de médecine générale, il faut quatre ans de spécialisation en psychiatrie. La psychiatrie, c’est cette discipline médicale qui permet la prévention, le diagnostic, le traitement des pathologies mentales ou psychiatriques.

 

« Pour faire ce métier, il faut être passionné, aimer l’être humain »

 

Comment pouvez-vous expliquer le fait qu’une personne qui a étudié pendant plus d’une dizaine d’années peut décider de diriger un hôpital psychiatrique, un hôpital identifié comme un établissement pour fous ?

J’ai envie de vous demander en retour comment une personne qui a étudié pendant dix ans peut diriger un service de gynécologie parce que c’est pour moi la même chose. Ce sont des spécialités médicales qui nécessitent l’investissement d’un médecin ou d’un administrateur pour le bon fonctionnement de la structure.

Mais avant tout, c’est une question de passion. Pour faire ce métier, il faut être passionné, aimer l’être humain. Et lorsqu’on aime l’être humain, en termes de santé mentale, on veut une amélioration de la qualité des soins dans le domaine de la santé mentale. On veut également un personnel motivé au sein de la structure pour une meilleure qualité des soins. C’est comme ça donc qu’on accepte de diriger une structure telle que l’hôpital psychiatrique de Bingerville.

 

« Un médecin-psychiatre, ce n’est pas un fou »

 

Au niveau de votre famille et de votre entourage, est-ce qu’il n’y a pas eu d’opposition ou de réticence quant à votre décision de diriger un hôpital psychiatrique ?

On va commencer par être psychiatre déjà. On sait tous tout ce qu’il y a comme préjugés autour de la santé mentale. Le médecin psychiatre est assimilé à un fou, à quelqu’un qui va perdre les pédales comme ses patients. Le médecin-psychiatre est assimilé à un déséquilibré. Ce n’est pas le cas. Le médecin-psychiatre, c’est un soignant. Aussi bien qu’il existe des soignants pour le corps, aussi bien qu’il en existe pour la tête. Un médecin-psychiatre, ce n’est pas un fou. C’est un soignant, c’est un médecin.

 

Effectivement, il y a des préjugés mais l’abondance des informations sur la santé mentale fait que les parents eux-mêmes se rendent compte que c’était le meilleur choix à faire. Autre chose, on n’accepte pas de diriger un hôpital psychiatrique mais plutôt une nomination. C’est l’Etat de Côte d’Ivoire qui vous confie cette responsabilité parce qu’il croit en vos capacités de bien remplir cette mission. C’est challengeant et comme on y croit, on met tous les moyens en place pour pouvoir réussir cette mission.

 

Vous disiez tantôt que le médecin-psychiatre est un soignant. Pensez-vous vraiment que la folie se soigne et se guérit ?

Le mot folie est très péjoratif pour moi. Je parle plutôt de santé mentale, trouble de santé mentale ou si vous voulez de maladie mentale. Il existe plus de 300 pathologies psychiatriques qui sont répertoriées comme c’est le cas également pour la médecine physique ou somatique. Parmi ces 300 pathologies, la majorité se soigne et on en guérit à condition bien sûr d’accepter de se soigner. Cependant, il y a d’autres pathologies dont on ne guérit pas forcément qui sont dites chroniques mais qu’on parvient à stabiliser à travers une bonne prise en charge et on parvient quand même à faire une bonne réinsertion sociale, familiale voire professionnelle dans certains cas.

 

« Il existe plus de 300 pathologies psychiatriques »

 

En Afrique, dit-on, derrière une folie se cache une affaire de sorcellerie ou de mysticisme. Dans de tels cas, comment pouvez-vous parvenir à guérir un tel patient ?

Pour moi, les problèmes de santé sont avant tout une question de science parce que si on arrive à trouver des médicaments qui permettent de guérir un problème de santé mentale, c’est qu’au niveau fondamental il y a un problème scientifique. Maintenant, l’être humain étant un être social, lorsqu’on le prend en charge, on le fait en tenant compte de son environnement, son entourage mais également ses perceptions, ses croyances. Il ne faut certes pas balayer les croyances du revers de la main mais il faut les intégrer pour une prise en charge complète.  

 

« Les problèmes de santé sont avant tout une question de science »

 

Mais très sincèrement, avez-vous déjà vécu des expériences avec des patients sous emprise mystique ?

En seize ans de psychiatrie, je dirai non. Non, pas parce que cela n’existerait pas mais parce que je n’ai pas encore vu. Je dirai non parce qu’encore une fois, comme il faut intégrer tout cet aspect de la vie de la personne à sa prise en charge, en tant que soignante, j’ai toujours laissé la latitude à mes patients de pouvoir associer ce qu’ils voulaient à leur prise en charge.

 

Qui sont ces patients qui fréquent l’hôpital psychiatrique de Bingerville ?

Tout le monde. Du chef d’entreprise en passant par le médecin, le pharmacien, l’ingénieur jusqu’à l’agent d’hygiène, le mécanicien, le chauffeur de taxi, l’employé de maison…, tout le monde. Tout le monde a une santé mentale. A un moment ou à un autre de l’existence, cette santé mentale peut être compromise et si on n’y prendre, cela peut amener en psychiatrie. Tout le monde est donc concerné par les questions de santé mentale.

 

« En psychiatrie, 1+ 1 n’est pas égal à 2 »

 

Quelles sont les causes les plus récurrentes des problèmes de santé mentale ?

Comme je le disais plus haut, il y a plus de 300 maladies donc il y a autant de causes que de maladies. Toutefois, les causes sont de plusieurs ordres. Il y a des facteurs biologiques qui sont liés à leur constitution propre en tant qu’être humain. Il y a les facteurs environnementaux qui sont liés à tout ce qui les entoure au quotidien.

Il y a les facteurs sociaux. Il y a aussi les facteurs biochimiques qui sont liés soit à des maladies soit à la prise de certaines substances. Ces facteurs-là n’agissent pas de façon isolée. Mais ils vont avoir tendance à s’imbriquer les uns dans les autres pour pouvoir expliquer la survenue d’un tableau psychiatrique. Autrement dit, en psychiatrie, 1+ 1 n’est pas égal à 2. Plusieurs événements dans la vie d’une personne peuvent favoriser la survenue d’un problème de santé mentale.

 

« La drogue est l’un des premiers facteurs favorisant les problèmes de santé mentale »

 

La drogue est-elle l’une cause les plus récurrentes des problèmes de santé mentale ?

La drogue est l’un des premiers facteurs favorisant les problèmes de santé mentale surtout dans la population jeune. Mais il n’y a pas que ça parce que justement les préjugés font que lorsqu’on voit un jeune avec un problème de santé mentale, on déduit tout de simple que c’est la drogue, ce qui n’est pas toujours le cas. Il faut dire que la drogue fait énormément de ravages dans la population jeune aussi bien chez les adolescents que chez des jeunes adultes. Il est même démontré que pour des maladies graves de santé mentale comme la schizophrénie que la drogue est l’un des facteurs les plus favorisants.

 

A partir de quel moment peut-on se rendre compte qu’on est en train d’avoir des problèmes de santé mentale ?

On dira que lorsqu’il y a une rupture avec le comportement habituel, lorsqu’il y a un changement au niveau de la personnalité. Une personne qui mangeait correctement mais qui d’un coup ne s’alimente plus correctement, qui ne dort plus, qui est tout le temps anxieuse, tendue, sur la défensive, une personne qui était auparavant extravertie qui tend plutôt à s’isoler, une personne qui n’a plus envie de faire ses activités habituelles, qui n’a plus envie d’aller au travail, qui n’a plus envie de voir du monde, qui n’a plus goût à la vie…. Ce sont tous ces éléments qui peuvent attirer l’attention et montrent une rupture avec la personnalité antérieure de la personne.   

 

« La question du suicide a toujours été présente »

 

Comment expliquez-vous la recrudescence des suicides en Côte d’Ivoire ?

Je ne sais pas s’il y a beaucoup plus de suicide ou que les suicides sont beaucoup plus médiatisés. Sinon, la question du suicide a toujours été présente seulement qu’avant, on n’avait peut-être pas tous ces médias qu’on a aujourd’hui pour les relayer. Il y a tellement de honte autour de la question du suicide à tel point que des familles les masquaient.

Certaines familles demandaient même aux médecins de ne pas dire que c’était des suicides. Mais aujourd’hui, le suicide est visible, est relayé et partagé. Parfois même des conduites suicidaires chez les uns peuvent insuffler suffisamment de courage à d’autres pour passer aussi à l’acte. Les facteurs des suicides sont nombreux.

On parle certes beaucoup plus des facteurs sociaux qui sont liés aux difficultés du quotidien mais on oublie qu’il y a des facteurs qui sont liés à la maladie mentale. Il y a certaines maladies mentales graves comme la dépression qui peuvent dans leur complication amener une personne à se suicider. Il y a aussi certaines maladies mentales graves comme la schizophrénie qui peuvent amener une personne à passer à l’acte suicidaire.

 

« L’hôpital psychiatrique de Bingerville reçoit un peu plus de 1 000 patients par mois »

 

En moyenne combien de patients recevez-vous mensuellement à l’hôpital psychiatrique de Bingerville ?

On a en moyenne cent patients qui sont hospitalisés et d’autres patients non hospitalisés qui fréquentent l’hôpital. L’hôpital psychiatrique de Bingerville reçoit un peu plus de 1 000 patients par mois. Sur les raisons qui amènent à fréquenter l’hôpital, je dirai la maladie, les problèmes de santé mentale. Les malades comprennent qu’ils doivent être pris en charge et être soignés ou c’est la famille qui le comprend.

 

« Il y a beaucoup plus de personnes dehors qui sont malades mais qui s’ignorent »

 

N’est-ce pas alarmant de savoir que l’hôpital psychiatrique de Bingerville reçoit un peu plus de 1 000 patients par mois ?

Oui et non. Moi je trouve que c’est rassurant parce qu’au moins on sait que ce sont des personnes qui se soignent. Je pense qu’il y a beaucoup plus de personnes dehors qui sont malades mais qui s’ignorent ou qui ne viennent pas se soigner. Cela permet d’interpeller sur la santé mentale des ivoiriens et de se dire qu’il faut faire davantage de prévention pour apprendre aux populations à prendre soin de leur santé mentale avant d’arriver au stade de maladie.

 

De plus en plus, on voit des fous dans la rue. L’hôpital psychiatrique de Bingerville n’a-t-il pas cette vocation de les interner et les soigner ?

Les fous dans la rue relèvent du programme national de santé mentale. L’hôpital psychiatrique de Bingerville est un lieu de soins où on reçoit des malades qu’on soigne. Il ne revient donc pas à nous d’aller les chercher dans la rue pour les soigner.

 

Le 30 août 2025, l’établissement que vous dirigez depuis le 05 mars 2025 célébrera son 63ème anniversaire d’existence. Quel est le sens et la vision derrière une telle célébration ?

Effectivement, nous allons célébrer le 30 août 2025 le soixantenaire de l’hôpital psychiatrique de Bingerville. A travers cette célébration, nous ambitionnons d’ouvrir les portes de notre institution à la population de Côte d’Ivoire. Montrer également à la population que l’hôpital psychiatrique de Bingerville est un lieu de soins.

A travers cette célébration, nous voulons également pouvoir communiquer sur l’histoire de cette structure créée depuis 1962 et réfléchir ensemble aux perspectives de développement de l’hôpital. C’est également l’occasion pour nous de sensibiliser la population sur la santé mentale et d’informer aussi sur le projet de restructuration de l’hôpital psychiatrique de Bingerville en ce sens que la construction d’un nouvel hôpital est prévue.

Cette célébration sera donc l’occasion pour nous de montrer les murs de l’ancien hôpital avant qu’il ne ferme ses portes. Enfin, cet événement nous permettra également de marquer une reconnaissance vis-à-vis des pionniers qui ont fait l’hôpital psychiatrique de Bingerville.

 

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Des activités diverses sont au menu de cette célébration. Plus concrètement, a quoi devrons-nous nous attendre ?

Il y aura une projection de l’hôpital psychiatrique de 1962 à nos jours, des conférences sur la santé mentale, une journée mémorielle des anciens ayant exercé au sein de l’hôpital, une cérémonie d’hommage aux pionniers.

 

Philip KLA

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