
Un homme dont le slogan de campagne était « sans bruit », formule élégante qui, rétrospectivement, ressemblait à une prophétie auto-réalisatrice plutôt qu’à un simple leitmotiv électoral. Élu député puis maire dans la commune d’affaires du Plateau, le centre névralgique ivoirien où se concentrent administrations, sièges bancaires et ministères, M. Ehouo avait promis de « penser pour la population » et de « mettre en place son programme ». Mais depuis, ce programme a, pour beaucoup, l’apparence d’un mirage politique. Ce qui frappe, au fil des mois et des années, c’est moins le travail accompli que l’absence perceptible de ce député-maire. Sur la vie municipale, les grands défis urbains, ou les grandes questions nationales qui engagent les Ivoiriens, M. Ehouo reste… muet. Tellement muet que certains habitants se demandent, non sans humour, s’il vit vraiment ou s’il n’est qu’une figure d’ombre dans l’échiquier politique local.
Le slogan « sans bruit » ne lui colle pas seulement à sa peau : il en est devenu le manifeste imprévu. Car si l’on doit juger la gouvernance non seulement d'après les actes, mais surtout par les interventions publiques, échanges directs avec la population, le maire du Plateau s’illustre par… sa "discrétion remarquable", voir bruyante. Les grandes échéances électorales sont les rares moments où M. Ehouo daigne réapparaître sous les projecteurs. À ces instants-là, sa parole, jusque-là économisée comme un trésor, se libère soudainement en flots ininterrompu, tel un regain saisonnier d’éloquence, calibré pour récolter des voix. À contrario, son challenger, Ouattara Dramane (OD), cadre du RHDP, n’hésite pas à multiplier les contacts directs avec les populations du Plateau. Mécène, philanthrope et homme politique visible, OD incarne ce que des citoyens décrivent comme l’antidote à l’“invisibilité politique” : présence régulière sur le terrain, engagement social, interactions quotidiennes. Chez lui, le bruit ne se limite pas à des slogans électoraux, il se matérialise dans l’effort réel et la proximité affichée.
Un contraste saisissant : l’un bavarde surtout juste avant et pendant les élections, l’autre engage sa voix et son action en tout temps. Ce qui fait dire à certains observateurs que le Plateau mérite peut-être une tête pensante aussi active que bavarde, mais surtout moins silencieuse lorsqu’il s’agit de défendre l’intérêt local ou prendre position sur les grandes orientations de la nation. Et pendant que certains regrettent de ne pas entendre davantage leur député-maire dans les débats clés de la vie politique ivoirienne, d’autres ironisent : le Plateau n’a jamais eu un député aussi fidèle à son slogan. « Sans bruit ? Il a dépassé toutes nos attentes », plaisante un commerçant de la commune des affaires. « On ne savait pas qu’il existait à plein temps ; au moins maintenant on le sait… quand les élections approchent. »
À ce rythme, on peut se demander si Jacques Ehouo n’a pas inventé une nouvelle doctrine politique : le leadership par intermittence, une stratégie minimale de communication en dehors des campagnes électorales, où le silence devient une performance, et le retour à la parole un art réservé aux moments propices. Sacré Jacques Ehouo. Les électeurs du Plateau doivent mettre fin à l'existence de tels personnages électoraux pour qui les élections sont un moment propice...pour exister et disparaître ensuite.
Prospère Kouakou
Enseignant du secondaire


