Politique

Simone Ehivet Gbagbo confie : « Le peuple est dans la rue car Laurent Gbagbo a été écarté de la présidentielle »

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Candidate à l’élection présidentielle du 25 octobre 2025, Simone Ehivet Gbagbo s’est confiée au magazine Jeune Afrique. ‘’La dame de fer’’ assène ses vérités sur des sujets d’actualité. 

C’est votre première candidature, après des décennies de militantisme au sein de la gauche ivoirienne. Avez-vous longuement mûri cette décision ?

Lorsque j’ai commencé à faire de la politique, je n’avais pas prévu d’être candidate à l’élection présidentielle. Je me disais que le FPI désignerait en temps voulu le responsable le mieux placé. Pendant longtemps, cela a été le président Gbagbo lui-même, en 1990 puis en 2000 après le boycott de 1995. Aujourd’hui, je suis candidate parce que j’estime que nous n’avons pas fini de réaliser notre projet pour ce pays.

« Lorsque j’ai commencé à faire de la politique, je n’avais pas prévu d’être candidate à l’élection présidentielle »

Vous avez décidé de lancer votre propre projet politique. Conservez-vous la même ligne idéologique que Laurent Gbagbo ?

L’idéologie, c’est une chose. La structure qui agit pour la mettre en œuvre en est une autre. De mon point de vue, l’idéologie demeure commune : sociale-démocrate. Adossée au besoin d’organiser ce pays pour que la souveraineté revienne aux nationaux dans une Afrique que nous devons bâtir ensemble. Ce travail n’est pas achevé et je souhaite que tous ceux qui sont prêts à le faire se joignent à moi.

Vous avez démenti avoir reçu de l’argent du pouvoir. Comment financez-vous votre campagne ?

Les militants participent, se déplacent, paient leurs repas. Il y a quelques donateurs également.

« Moi, m’entretenir avec Alassane Ouattara ? »

À quand remonte votre dernier contact avec Alassane Ouattara ?

Moi, m’entretenir avec Alassane Ouattara ? Je lui ai parlé au téléphone à Bouaké, en 2023, après avoir rencontré une délégation du RHDP venue participer à notre meeting. Ses membres m’avaient dit que ce serait bien d’appeler le président pour le saluer. Je l’ai donc appelé, et je l’ai salué.

Comment enrayer la montée de tensions entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso ? Que pensez-vous de l’Alliance des États du Sahel (AES) ?

Aujourd’hui, les pays d’Afrique doivent relever le défi de gérer eux-mêmes leur souveraineté, mais également leur sécurité et leur développement. Sauf qu’ils rencontrent des obstacles, que ce soit avec les États voisins, ou même avec l’ancien colonisateur qui n’a pas encore renoncé complètement à la Françafrique. C’est ce qui a provoqué la création de l’AES. Cela aurait pu nous arriver à nous aussi. Entre 2010 et 2011, nous avons été nous-mêmes bombardés, vilipendés, attaqués, d’abord par des troupes de l’étranger, puis par la force Licorne, la force onusienne, etc. L’AES est à nos portes, ce sont nos voisins immédiats.

S’ils veulent constituer cette alliance, il ne nous revient pas d’en débattre, c’est leur problème ! Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe de ne pas avoir de relations avec eux. Nous avons même intérêt à mener toutes les négociations possibles, sur le plan diplomatique, pour arriver à bâtir ensemble la sécurité de la sous-région, éviter les intrusions depuis les pays voisins et organiser les échanges économiques. Sinon, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui va être déstabilisée. Vous voyez déjà des impacts au Bénin ou au Togo. Ce problème est d’une importance vitale.

Conservez-vous, depuis la crise de 2010-2011, des griefs envers la France et la communauté internationale ?

J’ai passé trois ans et demi à Odienné après mon arrestation. J’ai beaucoup réfléchi et beaucoup prié. On m’a dit qu’il fallait que je prie pour Alassane Ouattara, c’était très difficile. J’en avais gros sur le cœur, contre ce monsieur, son parti politique ainsi que contre les Français et la communauté internationale qui l’ont soutenu alors que je considérais qu’il n’était pas dans son droit. Je considérais qu’il était un agresseur de cette nation. Pourtant, j’ai reçu un texte de prière à réciter pour lui, matin et soir. J’ai fait ça pendant une semaine. À la fin, j’ai été guérie de toute ma rancœur envers lui. Aujourd’hui, je pose donc le problème du pardon et de la réconciliation. Se libérer de la rancœur, c’est se rendre service à soi-même.

Vous réfutez l’image qui vous a été attribuée, lorsque vous étiez Première dame, de « dame de fer ». Pourquoi ?

Cela dépend de ce qu’on entend par là. Certains ont estimé que j’étais une personne très autoritaire, qui prenait les décisions à la place de son mari, qui ne pardonnait rien et qui tapait dur. Un peu comme ces communistes du début du siècle passé qui se promenaient le couteau entre les dents pour tuer, trucider, taillader… Cette image-là, je la récuse, ce n’est pas du tout ce que je suis. En revanche, les problèmes qui se posent dans nos nations africaines exigent de l’individu qu’il soit ferme. De l’ouverture, de la sagesse, de l’intelligence, certes, mais de la résolution et de la fermeté. Vous pouvez trouver ça chez moi parce que c’est nécessaire.

Sur le plan politique, entretenez-vous des canaux de discussion avec Laurent Gbagbo ?

Non.

Vous croyez donc qu’une alliance est encore possible ?

Il est un peu tard maintenant. L’élection est dans quelques jours.

Depuis le 11 octobre, il y a eu, selon le procureur de la République, plus de 700 arrestations de militants du Front commun, dont certains ont déjà été condamnés à des peines de prison ferme. Redoutez-vous une recrudescence des violences ?

Cette année, je voulais que nous puissions avoir des élections apaisées. Cela aurait été possible si nous avions obtenu un dialogue politique et une loi d’amnistie pour Laurent Gbagbo. J’insiste, car c’est pour lui une véritable injustice. Alors qu’il était chef d’État, son régime a été attaqué, au point que la BCEAO a bloqué les fonds de l’État ivoirien. Ce n’est pas tolérable car ce n’est pas son rôle. Ni celui de la CEDEAO ni de l’Union africaine. Ils l’ont pourtant fait, avec le soutien de la France.

Laurent Gbagbo prend de l’argent, qui appartient à l’État ivoirien, dans les caisses de la BCEAO pour payer les fonctionnaires. Et on l’arrête ! Et on le condamne à vingt ans pour cela ! Je l’ai dit au juge lors de mon procès : si Laurent Gbagbo a commis un détournement, cet argent a servi à payer votre salaire. Si c’est un voleur, vous êtes un receleur. Pour amener la paix dans ce pays, le président de la République aurait dû casser cette condamnation avec une loi d’amnistie. Laurent Gbagbo se serait retrouvé sur la liste électorale et serait candidat aujourd’hui. S’il avait été aimé, il aurait gagné et sinon, il aurait perdu. C’est tout. Or, cette décision injuste l’a écarté. Voilà pourquoi le peuple est dans la rue. Voilà pourquoi la tension n’arrête pas de monter. Je ne sais pas ce qui va se passer. Ce serait dommage de passer à côté d’une solution aussi simple qu’une élection. 

« Mon souhait est que ce scrutin puisse se tenir »

Tidjane Thiam a appelé à « libérer la Côte d’Ivoire » d’ici au 25 octobre. Discutez-vous toujours avec lui ?

Non. Je le laisse responsable de sa déclaration. Moi, je suis au pays. Mon souhait est que ce scrutin puisse se tenir. S’il a prévu autre chose, il ne m’en a pas parlé.

« Ce Soro-là, s’il rentre au pays, et que les Ivoiriens sont fâchés contre lui, je serais prête à le prendre par le bras pour qu’il obtienne leur pardon »

Le parti politique de Guillaume Soro, aujourd’hui dissous, s’est joint au mouvement « Trop, c’est Trop » lancé par Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam. Êtes-vous favorable à un retour de l’ancien Premier ministre en Côte d’Ivoire ?

Guillaume Soro est un Ivoirien. Il a pris un chemin que je lui ai déconseillé de suivre depuis le début. Prendre les armes dans une République où la démocratie est organisée, où on peut passer par les élections, tu**er des Ivoiriens dans leur propre pays pour prendre le pouvoir… Il l’a fait et je continue de dire qu’il a eu tort. Il a depuis demandé pardon, à plusieurs reprises. Je lui ai moi-même parlé au téléphone, il y a déjà longtemps, et je l’ai entendu présenter ses excuses. Ce Soro-là, s’il rentre au pays, et que les Ivoiriens sont fâchés contre lui, je serais prête à le prendre par le bras pour qu’il obtienne leur pardon. Si ce n’est pas ce Soro qui revient, il ne m’intéresse pas.

Source : Jeune Afrique