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Le Mali au bord du gouffre

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Des djihadistes, principalement issus d’Al-Qaïda, contrôlent les trois quarts du territoire et coupent les routes d’approvisionnement vers Bamako. Les Français ont été encouragés vendredi à quitter le pays.

Mariam Cissé partageait toute sa vie en vidéo. Au Nord du Mali, la jeune fille filmait la ville de Tonka, dans la région de Tombouctou, ses rues, son fleuve et son marché. Près de 90 000 abonnés la suivaient sur TikTok. Vendredi, des hommes l’ont fusillée sur la place publique. Ils l’accusaient de collecter des images pour l’armée du régime. Une terreur sourde s’abat sur le Mali. Des forces djihadistes tiennent désormais près des trois quarts du territoire. Des terroristes braquent, sur les routes, les camions-citernes. Faute de carburant, les centrales thermiques s’arrêtent. Ce territoire enclavé étouffe. Tout un pays risque de s’effondrer. En 2013, la France avait tenté d’écarter ce scénario catastrophe en envoyant ses troupes sur place . Bamako, cette fois, affronte seul son destin.

Al-Qaïda et son rêve de califat

Les trois millions d’habitants de la capitale vivent dans le piège d’un inquiétant compte à rebours. Vendredi, les autorités françaises ont recommandé à leurs ressortissants de quitter le pays « dès que possible ». Il en resterait près de 5 000, en tout cas parmi ceux inscrits sur les listes consulaires. Les États-Unis et le Royaume-Uni avaient annoncé l’évacuation de leur personnel « non essentiel » et de leurs familles la semaine précédente. Un nom bien connu des Français ressurgit du passé. Al-Qaïda, l’organisation longtemps incarnée par Oussama ben Laden, s’est enraciné dans les sables du Sahel. Sa filiale régionale, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), prend de l’ampleur. Il semble chaque jour plus proche de pouvoir instaurer un califat. « Tout laisse à penser que le GSIM souhaite la chute de la junte », a prévenu le patron de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française, Nicolas Lerner, lundi sur France Inter. Pour l’heure, des analystes estiment que l’organisation n’est pas prête, militairement, pour s’emparer de la capitale. 

Une stratégie d’étouffement économique

Le groupe terroriste « a atteint un niveau de capacité opérationnelle lui permettant de conduire des opérations complexes, combinant drones, engins explosifs, et un grand nombre de combattants », relevait en juillet un rapport de l’ONU. Des djihadistes en treillis, turban autour du visage, multiplient les attaques contre l’armée et les convois civils. Présent du nord au centre du pays, le groupe a étendu son emprise vers l’ouest et resserre maintenant son étau autour de Bamako. Étouffer l’économie nuit bien plus que les balles. L’État peine depuis longtemps à payer ses fonctionnaires. Ses recettes minières et douanières s’effondrent. Et personne ne semble en mesure de le sauver du désastre : les mêmes affres accaparent déjà ses principaux alliés frontaliers, le Burkina Faso et le Niger.

La Russie succède à la France…

Bamako paye en partie ses choix stratégiques. Deux coups d’État successifs ont secoué le pays en 2020 et 2021. Assimi Goïta, militaire devenu président de la « transition » en 2020, promet d’emblée de rompre avec la tutelle française. Jean-Yves Le Drian, alors ministre des Affaires étrangères, dénonce des « provocations ». La méfiance s’installe. En janvier 2013, François Hollande avait envoyé près de 4 000 soldats français sur place. Les opérations Serval puis Barkhane devaient arrêter l’avancée des colonnes djihadistes, sécuriser la capitale et permettre au pays de recouvrer son intégrité territoriale. Neuf ans plus tard, Emmanuel Macron rappelle les troupes en France. Leur dernier convoi quitte Gao le 15 août 2022. La Russie s’enfonce alors dans la brèche et livre des hélicoptères, des armes légères, des instructeurs pour la formation de l’armée malienne. Des hommes du fameux groupe paramilitaire Wagner, un temps actif en Ukraine, débarquent dans le pays. « Nous préférons des mercenaires assumés à des ennemis déguisés en amis, affirme le nouveau président malien. Le néocolonialisme dure depuis bien trop longtemps, même à l’instant où je parle, et la France en a énormément profité. ». 

sans plus de succès

Les groupes djihadistes reculent d’abord. Fin 2022, début 2023, la junte et ses nouveaux renforts libèrent plusieurs villes du nord. Mais l’illusion ne tient qu’un temps. Une contre-offensive, depuis, prend Bamako à la gorge. À l’été 2023, Evgueni Prigojine meurt dans un mystérieux crash d’avion. Le chef du groupe Wagner avait jugé judicieux de mener la fronde contre le Kremlin… Ses mercenaires intègrent alors une nouvelle structure, Africa Corps, placée sous la tutelle directe du ministère de la Défense russe. Leur programme, ces jours-ci, tient vraisemblablement plus à faire leurs paquetages qu’à investir le champ de bataille. Environ 1 500 hommes seraient encore présents sur le sol malien, principalement à Bamako et dans le centre du pays. Repliés autour de sites miniers, ils échouent pour l’heure à infléchir la catastrophe qui guette. 

Vers un destin semblable à la Libye ? 

Pour les états-majors voisins aussi, le Mali n’est plus qu’une cause perdue. L’armée régulière malienne se retrouve prise en étau. En plus d’Al-Qaïda, les soldats du régime doivent repousser les assauts de l’État islamique au Grand Sahara, affilié à Daech. Actif dans les régions de Ménaka et de Gao, le groupe mène, face au GSIM, une guerre de territoire autant qu’une course à la terreur. Ce morcellement, à terme, pourrait plonger le pays dans l’inconnu. Une partie passerait sous le contrôle d’AlQaïda et de son nouveau califat. Le reste suivrait la pente de la Libye, dans les années 2010, ou de la Somalie des années 1990 : une zone grise de la planète, refuge de non droit pour djihadistes, trafiquants et rebelles touaregs. L’heure, alors, sera peut-être à la vengeance. Ces dernières années, l’armée malienne et des milices locales ont procédé à plusieurs massacres contre la communauté peule, suspectée de se ranger du côté des djihadistes. En mars 2022, Moura, dans le centre du pays, a par exemple été le théâtre de centaines d’exécutions publiques, de viols et de pillages. « Il y aura beaucoup de comptes à régler », redoute le chercheur Thierry Vircoulon. Le chaos, souvent, se nourrit du chaos. Des centaines de milliers de Maliens attendent de fuir. Une crise migratoire menace. Sur les routes de l’exil, il ne resterait du Mali qu’un nom, perdu dans la poussière d’un Sahel en crise.

Le Parisien