
Dès 2015, selon le résumé de l'œuvre dénommée "MELT DOWN, SCANDAL, SLEAZE AND THE COLLAPSE OF CREDIT SUISSE", Thiam fait entrer dans son cercle de confiance Iqbal Khan, jeune prodige promis à un brillant avenir. Mais très vite, l’alchimie tourne au vinaigre. Les deux hommes, voisins sur la Goldküste zurichoise, passent d’alliés stratégiques à ennemis déclarés.
Ce conflit personnel et professionnel s’envenime lorsque Khan annonce son départ pour UBS, principal concurrent du Crédit suisse. Craignant une fuite de talents et de clients, l’état-major de Thiam choisit la voie la plus sombre : la filature organisée par des détectives privés.
Le « Spygate », un scandale retentissant
En septembre 2019, Khan découvre qu’il est suivi dans les rues de Zurich. La scène vire à l’affrontement, déclenchant une tempête médiatique mondiale. L’enquête révèle que la surveillance avait été commanditée par Pierre-Olivier Bouée, bras droit de Thiam. Mais très vite, la lumière se fait sur un système plus vaste : d’autres cadres du Crédit suisse, dont Colleen Graham et Peter Goerke, avaient eux aussi été espionnés. La FINMA confirmera en 2021 l’existence d’au moins sept programmes distincts d’espionnage commandités sous l’ère Thiam, impliquant des manipulations de factures et l’usage de messageries cryptées pour masquer les traces. Le détective privé qui a espionné Ibqal s'est suicidé plus tard. Officiellement, aucune preuve directe n’a jamais établi que Thiam avait ordonné ces opérations. Mais sa défense maladroite – citant son expérience avec les services secrets en Côte d’Ivoire a été perçue comme un aveu implicite.
En effet, le Conseil d'administration avait convoqué Tidjane Thiam pour l'entendre. Il lui a été demandé ce qu'il savait de cette affaire d'espionnage. Une remarque de Thiam a été très mal accueillie : « Lorsque j'étais ministre des Finances en Côte d'Ivoire, a-t-il déclaré, les agents des services secrets venaient me fournir des informations. Je leur disais : « Apportez-les-moi, mais ne me dites jamais comment vous les avez obtenues ». Une affirmation, somme toute, grave et mensonger d'autant plus que Thiam n'a jamais été ministre des Finances en Côte d’Ivoire. Qu'à cela ne tienne, certains membres du Conseil d'administration ont estimé qu'il s'agissait là d'un aveu tacite de culpabilité. Dans les faits, le Conseil d’administration finit par juger que l’affaire avait rendu le PDG indéfendable.
En février 2020, malgré un bond des bénéfices de 69 %, Tidjane Thiam est poussé à la démission. « Il est devenu un handicap », confiera le président du Conseil, Urs Rohner. Plus tard, une enquête parlementaire suisse relève de gros dysfonctionnements dans la gestion de Crédit suisse ces 20 dernières années.
Héritage d’ombres et d’ambitions
L’affaire Spygate a révélé au grand jour une culture de suspicion et d’opacité au sommet de Crédit suisse. Elle a aussi précipité le déclin d’une institution qui, quelques années plus tard, sombrera définitivement. Pour Tidjane Thiam, ce scandale reste une tache indélébile : malgré ses talents de financier, son nom demeure associé aux dérives d’un système où l’espionnage interne remplaçait le dialogue et où les rivalités personnelles l’emportaient sur la stratégie. Un rappel cruel : même les plus brillants parcours peuvent s’écrouler, lorsqu’ils sont gangrenés par les scandales et la perte de confiance.