
D’une marche triomphale à une chute brutale. À 63 ans, l’histoire ivoirienne de Tidjane Thiam s’écrit de nouveau en pointillés, loin des ambitions affichées il y a moins de deux ans. Le 22 décembre 2023, l’ex-banquier est élu président du PDCI-RDA avec 96,48% des voix… un retour au premier plan pour le « fils prodigue » du plus vieux parti de Côte d’Ivoire.
L’ancien ministre du Plan avait mis sa carrière politique en pause pendant vingt-deux ans, dans la foulée du putsch du général Gueï contre Henri Konan Bédié en décembre 1999. Deux décennies durant lesquelles Tidjane Thiam acquiert une stature internationale dans le monde des affaires. D’abord en prenant les rênes de l’assureur britannique Prudential en 2009 ; celles du Crédit Suisse en 2015, jusqu’à sa démission en 2020. Il siège dans les instances dirigeantes de plusieurs sociétés, ou d’instances comme le prestigieux Comité international olympique, et affiche régulièrement sa proximité avec grands patrons et chefs d’État sur Instagram.
« L’héritier politique de Bédié »
Riche, connecté, adoubé par les influents chefs baoulés, le petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny (premier président de l’histoire du pays), incarne l’espoir d’un renouveau du PDCI-RDA, orphelin d’Henri Konan Bédié, chef de l’État de 1993 à 1999 décédé en août 2023. « Nous avons apprécié qu’il rencontre le président Bédié à Daoukro [à son retour en 2022, NDLR] et témoigne sa fidélité à son égard », se souvient Djédri N’goran, Secrétaire exécutif du PDCI-RDA, quand on lui demande pourquoi le parti a misé sur Tidjane Thiam. « C’est l’héritier politique de Bédié, qui lui a donné son premier poste en 1994 [à la tête du Bureau national d'études techniques et de développement, NDLR] et puis ses liens familiaux avec notre fondateur, le président Houphouët-Boigny, sont très importants symboliquement. »
« Tidjane Thiam est considéré comme l’homme providentiel », analyse rétrospectivement le politologue Eddie Guipié. « Il est relativement jeune, comparé à la sociologie du parti. Il a cette carrière solide à l’étranger ; et enfin, il n’est pas considéré comme un apparatchik. Son absence l’a déconnecté de la politique ordinaire au sein du parti. C’est une force… Mais aussi une faiblesse potentielle. »
« Un vent d’espoir au sein de l’opposition »
« À ce moment-là, il fait souffler un vent d’espoir au sein de l’opposition », rembobine le politologue Netton Prince Tawa. « Pour la première fois, il y a cette impression qu’Alassane Ouattara peut être battu. D’autant que [Thiam] impose des sujets de débat, et que le camp présidentiel paraît lui courir après. »
Pour son premier grand meeting comme président du PDCI, le 22 juin 2024 à Soubré, Tidjane Thiam pointe ainsi la stagnation de la Côte d’Ivoire dans le classement de l’Indice du développement humain du Programme des nations unies pour le développement. L’homme politique assure vouloir faire de la « politique autrement ». « Son credo, c’était de ramener le débat politique au niveau des idées », rappelle Netton Prince Tawa. « Plutôt que de tomber dans les passions, les invectives, il attaque le RHDP [la formation du président, NDLR] sur son bilan. »
Douche froide
L’état de grâce dure peu. Au sein du PDCI, des voix fustigent la gouvernance interne de Tidjane Thiam, ou encore son « absence prolongée » de Côte d’Ivoire. Parmi ses détracteurs, Jean-Louis Billon, qui ne cache pas non plus ses ambitions. Pour l’ancien ministre du Commerce, les deux décennies passées hors de Côte d’Ivoire empêchent l'ex-patron de Crédit Suisse de comprendre la réalité du pays.
S’ajoute à cela la remise en cause de la nationalité de Tidjane Thiam. D’anciennes déclarations de ce dernier sont exhumées. Comme cette tribune signée en 2009 pour l’Institut Montaigne, dans laquelle le chef du PDCI évoque l’« émotion d’être français » : l’ingénieur de formation a été naturalisé en 1987, quelques mois après être sorti major de promotion de l’École nationale supérieure des mines de Paris. L’état civil de Tidjane Thiam revêt alors un enjeu politique majeur : les candidats à la présidentielle doivent être exclusivement ivoiriens d’après la Constitution. En outre, le code de la nationalité dispose que « tout Ivoirien majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère [...] perd la nationalité ivoirienne ».
Le chef du PDCI ne renonce à sa nationalité française qu’en mars 2025 – quatre mois après la révision de la liste électorale. Si Tidjane Thiam figure bien sur la liste provisoire dévoilée par la Commission électorale indépendante (CEI) début avril 2025, une centaine de réclamations sont introduites à son encontre. Le 22 avril 2025, la justice ordonne la radiation de Tidjane Thiam, sans recours possible – la magistrate en charge du contentieux a considéré que l’ex-banquier n’était plus ivoirien au moment de sa réinscription sur la liste électorale en 2022.
Indignation à distance
Une décision de justice que l’opposant apprend alors qu’il est en France – il n’a pas non plus assisté à son investiture officielle comme candidat du PDCI quelques jours plus tôt. Désigné par 99,50% des votants lors d’une convention interne, le président de la formation d’opposition ferme la porte à toute alternative : « Il n’y aura pas de plan B, il n’y aura pas de plan C », assène-t-il dans une vidéo mise en ligne le soir même du 22 avril. Une déclaration en contradiction avec l’idée de vouloir faire de la politique autrement, selon Netton Prince Tawa : « En excluant tout alternative, Tidjane Thiam finit par ressembler à d’autres hommes politiques qui ne veulent pas désigner de successeur. Son maintien, c’est comme s’il prenait le PDCI en otage. »
C’est donc à distance que Tidjane Thiam proteste contre sa radiation – saisine du comité des droits de l’homme des Nations unies, plaidoyer auprès de dirigeants et élus européens et américains – sans succès : son nom ne figure pas sur la liste électorale définitive, ce qui l’élimine de facto de la course à la présidence.
Sur le terrain, les « Titi Président ! » ponctuent chaque meeting du PDCI, mais des critiques se font malgré tout entendre. Visé par une action en justice qui conteste les conditions de son élection, Tidjane Thiam démissionne de la présidence le 12 mai 2025, avant d’être réélu deux jours plus tard sans opposition. Pas de quoi masquer des divisions internes : « Tidjane Thiam a l’image d’un homme moderne, rigoureux, mais il est mal conseillé », estime ainsi un frondeur, ex-délégué du parti. « Les hommes qui entourent le président n’admettent pas les dysfonctionnements qui ont abouti à sa radiation de la liste électorale. Nous avons cinq ans devant nous pour en tirer les leçons, mais il faut aussi préparer les législatives [en décembre 2025, NDLR]. »
Tidjane Thiam, lui, reste droit dans ses bottes. Son dossier est déposé à la Commission électorale indépendante le 24 août 2025. Une candidature finalement jugée irrecevable par le Conseil constitutionnel le 8 septembre 2025. Le PDCI ne dirige plus la Côte d’Ivoire depuis 1999, et est une nouvelle fois écarté de la course à la magistrature suprême.
RFI